Le monde s’écroule, dans un mutisme criant. Une odeur de sang, mêlée à une bouffée asphyxiante de poussière, issue des ruines d’une soi-disant civilistion, nous étouffe. On nous avait pourtant promis que le 21e siecle sera mieux que le précédent, prospère, brandissant l’étendard de l’âge d’or du progrès, une ère où se réalisent les fantasmes les plus fous de l’homme et où se cristallisent les plus ambitieux de ses projets. Mais à en croire la définition du progrès, nous sommes étrangement aux antipodes de ce concept. La menace d’extinction de l’humanité qui pèse sur nous et la peur d’un futur nébuleux qui semble plus incertain que jamais, en sont les premiers symptômes. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et comment pouvons-nous éviter, ou au mieux, retarder la sentence d’un monde voué à la destruction ?
Avant d’aborder la notion du progrès, il convient de la définir. Il s’agit d’aller vers l’avant, et de s’élever à un degré supérieur. Au fil des siècles, l’humanité a été mue par une force motrice invisible dont la résultante est l’amélioration exponentielle de la qualité de vie, de la productivité et du capital. De la machine à vapeur à l’industrie lourde, en passant par l’exploitation de nouvelles sources d’énergie comme l’électricité et le pétrole, l’homme a œuvré pour la construction d’un futur crédible et attractif. Pourtant, le progrès a lentement dévié de sa trajectoire initiale en faveur de l’innovation, qui se plie à la folie des grandeurs humaine. Elle ne se soucie pas des générations futures, ni de l’état dans lequel on leur lèguera ce monde. L’égo de l’homme tout puissant car tout pensant exerce son hégémonie sur la Terre, l’argent est au centre de tout, le profit à court terme est priorisé, la société s’engouffre alors dans un sinistre matérialisme. Cheval de Troie d’un avenir glorieux, l’innovation sape les valeurs humaines et épuise les ressources naturelles. D’abîme en abîme, l’humanité évolue, victime de son idéal d’augmentation, retranchée dans une zone d’ombre, condamnée à subir les conséquences de son ambition démesurée. Nous avons visiblement franchi un point de non-retour, et il est temps de se rendre à l’évidence que nous sommes dans une ère nouvelle, l’anthropocène. Il est impossible aujourd’hui de trouver un endroit vierge de la trace humaine envahissante, si bien qu’on ne parle plus de nature, mais plutôt d’environnement. L’homme, ayant transformé la bénédiction en malédiction, est devenu esclave de sa création digitale, détaché des normes sociales, obnubilé par le mythe du progrès infini, dépendant de la technologie et de l’intelligence artificielle, sombrant dans un magma insignifiant de nihilisme, vivant à la surface des choses, piégé dans un cercle vicieux. Je vous laisse imaginer le sombre futur dystopique qui nous attend si nous restons sur cette lancée d’omnipotence et d’omniscience, de domination et d’orgueil, s’obstinant à régner en maîtres sur ce monde qu’on a défiguré.
Il est vrai que le progrès, indissociable de l’être humain, en est une caractéristique fondamentale depuis ses origines, depuis la pierre taillée et le feu… Etant la seule espèce dotée d’une conscience, il est naturellement animé d’une volonté de s’améliorer. Pourtant, quand cette quête se macule de démesure, de régression sociale, et d’abrogation de lois morales, je pense qu’il faut urgemment faire marche arrière.
Aujourd’hui, les jeunes appréhendent le futur et avancent vers lui à reculons. Une épée de Damoclès relative au risque de remplacement de l’intelligence humaine par l’intelligence artificielle, du bouleversement du rapport de force entre elles, de la marginalisation de l’être humain biologiquement « normal » en faveur de l’être humain « augmenté », pèse sur notre génération et menace de trancher le fil de l’espoir.
Quant à la science, elle nourrit le progrès, puisqu’elle est un socle de connaissances, mais dénuée de conscience, elle n’est que ruine de l’âme, comme le disait si bien Rabelais. En effet, on a l’impression que les savants ne travaillent plus au service de la vérité, mais des besoins de consommation des individus. Il est impératif de tempérer les ardeurs des scientifiques et de les encadrer par des lois éthiques afin d’éviter le pire. L’Histoire a prouvé que l’homme a la capacité de se saborder, et la science n’est qu’un outil entre ses mains pour le faire.
La marche arrière est impérative, et elle commence par la restauration des valeurs humaines, éthiques et morales. La science doit rétrocéder son monopole de vérité et la surexploitation des ressources naturelles au nom du gain matériel doit cesser.
Finalement, l’homme a été insidieusement porté à croire que l’innovation est la continuité du progrès, et qu’elle était nécessaire à l’avancée du monde. Bien qu’elle soit un maillon important dans l’amélioration des conditions de vie, elle agit à court terme et met le sort de l’humanité en danger. C’est pourquoi il est primordial de restaurer le progrès comme moteur essentiel du développement, les valeurs humaines et morales comme phare qui guide la société, et la science, comme socle de connaissances ultime. Si l'homme est la seule espèce capable de connaître les lois de la nature, il y est aussi soumis. La nature rétroagit sur nos actes et nous devons ajuster le tir afin d’éviter de transformer ce monde en pandémonium.