Platon et Aristote se noyaient dans leur sempiternelle querelle sur la métaphysique de l’homme, débattant et se débattant dans les filets inextricables de leurs philosophies. Leurs pas les guidèrent à un lieu qu’ils connaissaient bien, l’école d’Athènes, où Raphael a figé cet instant dans le temps, immortalisant la collision de ces deux courants de pensée.
Le visage livide, et le regard vide, ils constatent, dans une stupeur désarmante, l’ampleur de la régression. Foulant à reculons les marches de l’édifice en ruines, ils peinent à croire que l’homme est le coupable désigné de son propre malheur. Des piliers de la connaissance, il ne reste que des débris, des livres qui regorgeaient de leçons de vie, il ne subsiste que des fragments, et des savants qui côtoyaient ce lieu, il n’y a plus personne, sinon une poignée de sophistes érigés en rois dans l’univers des mensonges. Diogène le cynique se promenait dans les alentours, prêchant comme à son habitude l’autarcie, avant de rejoindre ses contemporains. Ce jour-là, ce n’était pas lui le fou, mais bien nous, leurs descendants au XXIe siècle.
Remplacer la vertu par le vice et appeler ça de la modernité, glorifier la stupidité et vénérer des célébrités, il fallait être en 2024 pour y penser. Dans la société d’hyperconsommation, adorer l’argent est monnaie courante, si bien qu’on sacrifie tout, même notre âme, pour cet idôle. L’école de la morale, c’est de l’histoire ancienne. De nos jours, l’éducation est réduite à une usine à produire des copies, des employés, des faux-bourgeois, en d’autres termes, des gens que l’on peut mettre dans des moules pré conçus. Aujourd’hui, loin de l’apprentissage de codes comportementaux et de normes sociales, religieuses, ou familiales, on apprend surtout aux gens à rentrer dans des cases, à être des points sur une carte, une statistique dans un sondage, un numéro (de cirque), des rats de laboratoire conditionnés à imiter les actes des autres sans jamais se remettre en question. Piégés dans les rouages d’un système absurde où le mythe de Sisyphe devient une réalité voire un idéal à suivre, nous sommes les ferments d’une éducation basée sur la mémorisation par cœur, sans vraiment y mettre le cœur. Ils nous disent qu’il faut faire partie du beau monde, mais pas de rendre le monde beau. Cette soi-disant éducation repose sur la formation de génies de la paresse intellectuelle, incités à intégrer les meilleures écoles pour devenir les esclaves rangés du prestige social. L’ère de la prise de conscience est révolue. La vertu est en jachère. Le vice est à la mode, les déviances le sont aussi. L’érudition, l’amour de la connaissance, le respect de soi, d’autrui, et d’une certaine charte de conduite, un peu moins. De nos jours, pour se mettre au diapason de l’atmosphère générale, il faut s’enivrer de l’alcool profond de l’ignorance. Il faut rejeter les principes, être l’ennemi de la culture, et ne surtout pas penser. Il faut continuer, dans le déni total, à évoluer dans un monde en perdition. Il faut croire qu’on est libres, alors que nous le sommes pas. Kant l’a formulé avant moi, être libre c’est pouvoir user de sa raison pour résister aux injonctions de l’instinct et être ainsi indépendant de ses pulsions. La jungle humaine, autrement dit la civilisation dans laquelle nous vivons, en est l’image renversée. Aristote nous excusera, l’homme n’est pas un animal de raison, ni un animal social. Il est devenu un animal tout court.
Les grands savants qui nous ont précédés, de Socrate à Platon, en passant par Pythagore, Avérroès ou Héraclite, s’étaient rassemblés, des siècles plus tard, sur les marches de cette mythique école d’Athènes, réalisant que ce qu’ils ont fondé est aujourd’hui un héritage abandonné. L’humanité se dirige vers une chute inexorable. La place des grands hommes est désertée.
Entre syndrome de la page blanche et ma plume qui glisse avec volupté sur mon papier, une myriade d’idées vagabondent dans les dédales de mon esprit. Mais celle qui ne le quitte pas est "Virtutibus itur ad astra", traduite littéralement "Par le courage, on atteint les étoiles". Je finirai mon texte par ces mots : c’est grâce à la vertu qu’on pourra accomplir de grandes choses.